Nous avions sûrement bien des choses à fêter ce vendredi 17 décembre, c'est sans doute ce qui nous avait mis de bonne humeur.
L'instructrice, trop contente d'arriver en fin de trimestre, un peu moins le nez dans le guidon que les années précédentes, et avec la possibilité, enfin, de regarder le paysage ; de lever la tête, d'avoir envie de prendre une photo, de se demander comment la cadrer et si le jaune de la salle ne sera pas trop jaune pour le tein. Question futile, sans doute, mais qui ne peut se poser que lorsqu'on est sorti du stade de la survie, tant il est vrai qu'il n'y a de jugement esthétique qu'à partir du moment où l'on n'est plus dans la survie (c'est à un professeur de philosophie en terminale que l'on doit de nous avoir sensibilisé à la question : il disait que pour faire de la philosophie, il fallait d'abord être sûr de pouvoir manger le lendemain, tant il est vrai qu'on n'a guère le loisir de rechercher la vérité quand la faim vous tenaille).
Comment caractériser ce passage du stade de la survie à la ... vie ?
Dans la survie, n'importe quel obstacle, n'importe quelle difficulté qui se présente peut avoir raison de vous, de vos raisons, de votre projet, et vous savez que vous ne pouvez compter sur aucune justice, aucun tiers terme, aucune instance pour prendre votre parti. Non pas que vous ayez tort, mais plutôt que personne ne s'intéresse au fait que vous puissiez avoir raison. Il est très clair que le monde n'a pas besoin de vous pour continuer à tourner.
On parle dans les médias de "précarité", mais ce terme usé jusqu'à la corde, qui désigne dans l'imaginaire social une catégorie du gens "qui ont du mal" ne dit pas de quoi il s'agit : c'est le philosophe italien Giorgio Agamben qui nous semble avoir le mieux qualifié cet état en parlant de "la vie nue".
Moon-Kyo, thésard en philosophie, lorsqu'il proposa sa deuxième séance de "Hwal Gung" (littéralement, "l'énergie du vivant") n'y pensait sans doute pas en nous suggérant d'amener de petites serviettes pour poser notre visage sur les tapis. Nous nous livrâmes à ses exercices de respiration et de massage de bonne guerre : respirer, sentir, toucher et se laisser toucher par les autres (les esprits mal tournés y verront spontanément du sexuel : c'est à eux-mêmes qu'ils songent plus qu'au sens de notre propos).
Introduction idéale pour la suite. Après un sourire à monsieur Choi, artiste peintre qui nous immortalisa d'un clic ce soir là, chacun put goûter aux propositions culinaires des autres, et boire à satiété. Quand tout le monde fut rentré dans la danse, avec une certaine inquiétude pour les voisins, tant la musique était forte et nos déhanchements sonores, on eut le sentiment que tout était normal et qu'en un sens, l'avait toujours été. C'était une fête, avec des joyeux et des joyeuses, qui somme toute, étaient tout à leur insouciance. Au moment de s'assoir, et de reprendre son souffle, un éclair de lucidité passa : tout n'avait certes pas toujours été comme ça.