J’ai commis mon infamie l’après-midi du troisième jour. Je comprenais désormais qu’on ne me donnerait pas l’occasion de présenter mon projet, je sentais que les autres me fuyaient comme la peste, hormis mes deux collègues que le désespoir poussait à s’enivrer. Lors du buffet servi sur une pelouse, des groupes de danseurs mohawks et iroquois se sont produits devant nous. A une certaine époque, ces derniers auraient volontiers rôti et dévoré leurs hôtes. Refusant d’assister à cette humiliation, je suis parti me promener dans les bois au bord du lac, à la recherche d’un endroit tranquille où prier et réfléchir. Mais les prières que je comptais réciter me sont restées coincées dans la gorge, et je suis revenu sur mes pas pour les allocutions de l’après-midi, fermement décidé à m’emparer du lutrin. J’ai écouté avec attention le révérend Gates, qui était aussi le président de l’Amherst College dire quelque chose du genre : « Les enseignements du Sauveur abondent d’exemples sur le bon usage de la propriété. Le fait d’être propriétaire entraîne une immense amélioration morale, et l’Indien a beaucoup à apprendre sur ce chapitre. Il faut, avant toute chose, faire naître chez l’Indien sauvage des désirs plus vastes et des besoins plus diversifiés. Dans sa sombre sauvagerie, il doit être touché par les ailes de l’ange divin de l’insatisfaction. Le désir de posséder un bien qui lui soit propre peut devenir une énorme force éducative. Le désir de ne pas se contenter d’un « tipi » et des maigres rations de nourriture en hiver dans les camps indiens, voilà ce qu’il nous faut pour tirer l’Indien de sa couverture afin de lui mettre un pantalon –un pantalon doté de poches, et des poches qui meurent d’envie d’être bourrées de dollars!… »
En entendant ce blasphème, je me suis surpris à courir vers l’avant de la salle. J’ai secoué cet imbécile, je l’ai lancé vers la foule et tenté d’entamer mon discours, mais on m’en a aussitôt empêché. Il a été établi que j’étais responsable de blessures corporelles, et l’on m’a jeté dans cette prison où j’attends maintenant ma libération.
Dalva, Jim Harrisson, p451