Pour fêter la fin des restrictions de voyage et revoir son maître, Sa Bom Nim Choi Eui-Sun,Elodie Mollet s’est rendue en Corée au mois d’avril 2022. A cette occasion, elle a pu s’entretenir avec Maître Lee Dong-Gyu, 8° dan, Responsable du Soo Bahk Do en Corée.
Une interview de Lee Dong Gyu Sa Bom Nim
Comment avez-vous commencé le Soo Bahk Do ? Quels étaient le nom de votre instructeur et de votre do-jang ? Quel rôle a eu la pratique du Soo Bahk Do dans votre vie, d’enfant, d’adolescent et de jeune homme ?
Mon père était quelqu’un de très strict avec lui-même, il aimait les activités physiques en général, il m’emmenait souvent avec lui à la montagne et me faisait faire toutes sortes d’exercices : courir, des séries d’abdominaux ... ; il m’a également montré comment utiliser ses poings dans des mouvements de base (coup de poing moyen, coup de pied sauté). Je ne savais pas de quoi il s’agissait mais je l’imitais et cela me rendait heureux. Quand je suis rentré à l’école élémentaire, j’étais physiquement assez fort, et j’avais de bons résultats en éducation physique.
Un jour, quand j’étais à l’école élémentaire, ma mère m’a emmené dans le do-jang de notre petite ville, Youngmun, qui venait d’ouvrir, où l’on pratiquait le Soo Bahk Do. Il y avait dans ce do-jang un instructeur très talentueux, Lee Chang Yong ; loyal et passionné, il suivait l’enseignement de Hwang Kee, le fondateur du Soo Bahk Do Moo Duk Kwan. Tandis que je progressais, mon père obtint bientôt un nouveau travail, qui l’obligeait à quitter la région. Il aurait été très compliqué de continuer à m’entraîner en partant avec lui. Maître Lee Chang Yong fit la promesse à mon père qu’il continuerait à m’enseigner le Soo Bahk Do. Je vécus donc avec lui dans sa maison et pus ainsi continuer mon entraînement.
Quand je reçus mon 3° dan, Maître Lee Chang Yong me fit rencontrer le fondateur Hwang Kee, puis il partit enseigner le Soo Bahk Do en dehors des frontières de la Corée.
Le Soo Bahk Do, le meilleur des arts martiaux traditionnels je pense, a eu une influence profonde sur ma personne, et m’a permis de devenir ce que je suis. Depuis mon enfance, où j’ai commencé à développer ma force physique, des postures correctes et ce qu’on pourrait appeler « les bonnes manières ».
Pendant mon adolescence, en m’aidant à me canaliser, le Soo Bahk Do m’a donné la force de me préserver de faire de mauvaises choses, sous l’influence de menaces ou d’agressions extérieures ; c’était la force la plus puissante pour mener à bien mes projets et vivre une vie droite. Pour les jeunes élèves et les adolescents qui traversent la puberté, le Soo Bahk Do est une aide précieuse non seulement physiquement mais mentalement. J’essaye depuis cette époque de faire toujours de mon mieux à l’entraînement en appréciant ce que je fais, et je ressens toujours de la gratitude pour le Fondateur Hwang Kee et son fils et continuateur, Kwan Jang Nim Hwang H.C
Pendant ma jeunesse, je suis devenu à la fois plus mature et plus humble par rapport à mon entraînement de Soo Bahk Do. A cette époque, mes capacité physiques étaient à leur maximum, et à mes yeux, il était assuré que le Soo Bahk Do était le meilleur des arts martiaux. Quand je ressentais cette fierté, et l’assurance de ma supériorité sur les autres, j’ai compris qu’il s’agissait dans la pratique et par la pratique, de trouver la modération et la modestie.
Même en progressant encore et encore, l’objectif de devenir meilleur est toujours facteur de nouveauté, quelque chose qui vous permet de vous renouveler dans la pratique. Avec un corps fini, il m’est impossible de voler dans le ciel, je dois humblement accepter les limites de l’être humain. Il y a beaucoup de pratiquants qui sont excellents étant jeunes. En ce qui me concerne, c’est en m’entraînant avec constance et en continuant à me consacrer à l’entraînement, que je peux dire qu’aujourd’hui, à 60 ans passés, je suis fidèle à moi-même. Il y a deux ans, quand j’ai eu 61 ans, j’ai eu l’occasion de pouvoir m’évaluer lors du 75° anniversaire de notre école Moo Duk Kwan. Les résultats ont été suffisamment bons pour que je puisse en être satisfait. Mais je suis encore et toujours déterminé à continuer à pratiquer le Soo Bahk Do pour m’améliorer.
Vous êtes connu pour votre souplesse impressionnante. Pensez-vous que ce doive être l’objectif n°1 de l’entraînement et si oui pourquoi ?
Si vous deviez donner un conseil aux élèves pour améliorer leur souplesse, que diriez-vous ?
La souplesse est nécessaire pour tout un chacun qui souhaite être en bonne santé, pas seulement pour les élèves du Soo Bahk Do. Quand on vieillit le corps se raidit et rétrécit. Le manque de souplesse peut facilement mener à la blessure. Raison pour laquelle, en ce qui concerne la souplesse du corps, on ne doit pas compter son temps et ses efforts. Personnellement, je maintiens ma souplesse en m’étirant plus de deux heures chaque jour.
Ajoutons qu’un adulte qui a une bonne souplesse et une posture correcte est plus beau. Même une fois devenu Ko Dan Ja (4° dan et au-delà), la souplesse doit être bonne de manière à ce que tous les mouvements se fassent sans douleur, en coordonnant les mouvements, les rotations, et les coups de pieds difficiles.
C’est la raison pour laquelle, il vaut mieux limiter tous les aliments qui acidifient le corps, ainsi qu’éviter tout facteur de stress, ou l’entraînement excessif.
Et on doit aussi avoir une pratique correcte pour que la pensée reste souple : apprécier la nature, relâcher la pensée, lire des livres, marcher et méditer. Il est également nécessaire d’utiliser son esprit en se tournant vers les autres, en s’y consacrant et obtenir leur estime. Enfin, la souplesse ne peut être maintenue que si on entraîne son corps et qu’on surmonte les conflits contre nous-mêmes.
Vous semblez avoir l’habitude de vous entraîner dehors. Est-ce quelque chose que vos faîtes souvent et si oui, qu’y trouvez-vous ? Nous avons également entendu parler d’entraînement « extrêmes » à l’extérieur pendant 40 jours. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Il y a beaucoup de bénéfices dans la compréhension de notre rapport à la nature, et dans le fait de surmonter les différentes peurs que la nature suscite comme celles des insectes. On peut exercer le corps de beaucoup de manières intéressantes, en utilisant les arbres, les rochers, en fonction du type de milieu dans lequel vous vous entraînez. C’est une très bonne expérience de patience : on apprend à connaître ce qu’on peut trouver et manger cru dans la montagne, ou comment dormir en étant assis. On apprend également, comme les sols ne sont pas plats, le sens de l’équilibre que le corps peut développer. On apprend également à se protéger dans des situations météorologiques changeantes : quand il fait froid, quand il fait très chaud, quand il pleut ou quand il neige. Le corps qui traverse ces situations et qui a adapté sa méthode d’entraînement à ces situations devient plus fort. J’ai fait ce genre d’expérience 40 jours, et jusqu’à 90 jours.
Lorsque, à la demande du Grand-Maître Hwang Kee, j’avais la responsabilité du do-jang central à Séoul, je lui avais promis que j’irais m’entraîner à la montagne un mois l’été, et un mois en hiver ; j’ai tenu ma promesse.
Vous faîtes partie d’une génération qui s’est entraînée très dur. Comment comprenez-vous la passion et la ténacité que vous avez mis dans votre entraînement, en comparaison de ce qui existe pour les générations d’élèves actuelles ?
Auparavant, les règles de l’entraînement ou la méthode utilisée venait de l’expérience de l’enseignant. Raison pour laquelle le nombre des compétences sur lesquelles on s’entraînait étaient réduit. Il n’y avait pas de système scientifique. C’est par la patience et l’obéissance qu’on réussissait ; on travaillait l’endurance par la répétition des mêmes mouvements pendant une longue période.
A présent, on a adapté la méthode secrète venue de nos ancêtres sur une base scientifique, on utilise la technologie à propos, et on enseigne également au sommet de tout cela une manière de penser (« philosophie »). Plutôt qu’être seulement douloureux, l’entraînement permet aux élèves de s’entraîner avec plaisir, en comprenant et en appliquant. On doit au Grand-Maître fondateur Hwang Kee et à son fils d’avoir perfectionner cette méthode depuis les débuts de l’école Moo Duk Kwan en 1945.
Qu’est-ce qui vous fait mettre le do-bok encore aujourd’hui ?
Comme dit l’adage, « la vie est courte, l’art est long ». Je ne suis pas éternel, et j’ai embrassé la voie des arts martiaux. Sur le chemin, j’ai appris la modestie, la leçon la plus importante dans la vie, selon moi. Tous les pratiquants d’arts martiaux ont le droit de porter la ceinture noire quand ils sont promus au grade correspondant.
Mais au Soo Bahk Do, on porte la ceinture bleu marine, et non la noire qui signifie la réalisation complète. Le bleu marine nous donne un état d’esprit différent, il enseigne que l’être humain est toujours en train d’essayer, toujours en train de chercher des solutions, toujours en train de se dépasser, sans jamais atteindre la perfection.
A partir de là, je peux considérer que je commence aujourd’hui, à 63 ans. Jusqu’à mes 100 ans, je veux montrer à mes élèves et descendants qu’on peut conserver un corps capable et en bonne santé. Puis il sera temps pour moi de disparaître.
Tous nos remerciements à Maître Lee Dong Gyu, Maître Choi Eui-Sun et à l'association coréenne de Soo Bahk Do Moo Duk Kwan.
Article paru dans Taekwondo Choc n°111, Juillet Août Septembre 2022